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European Summer School Cergy-Pontoise/July 2006
3 juillet 2006

Jean Monnet et la défense de la démocratie occidentale

Par Gérard Bossuat, Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Cergy-Pontoise.

Jean Monnet, un des pères de l'Europe communautaire, a la réputation d’avoir été plus un homme d'influence et de secret, qu'un homme politique au sens de responsable élu. Certains lui en ont fait grief estimant qu'il n'avait pas de légitimité politique pour lancer les grands projets européens qu'on connaît : orientation du plan de modernisation et du plan Marshall pour la France, proposition de Haute Autorité du charbon et de l'acier (Plan Schuman), Communauté européenne de défense, Communauté politique européenne, EURATOM, projet de Fonds européen de stabilisation monétaire, projet de gouvernement européen.

Certes Monnet n'a jamais été un élu du peuple, pourtant il a été capable de transformer la réalité politique de son temps. Notre interrogation porte aujourd’hui sur le rapport de Monnet à la Démocratie.  Il faut prendre, à notre avis, ce terme au sens très large de défense de l’intérêt public européen au cours des événements importants qui rythment l’histoire du monde occidental. L’enjeu est important car il serait inacceptable que le père de l’Europe ne fût pas un démocrate. Rassurons nous, c’est un démocrate, mais il convient maintenant de comprendre comment cet idéal a pu se marier avec celui de l’unité européenne, car bien souvent on oppose encore les technocrates de Bruxelles aux élus des parlements nationaux.

1- Le premier thème retenu à partir duquel on peut envisager le rapport de Monnet à la démocratie est celui de la SDN (Société des Nations) au lendemain de la première guerre mondiale. En effet, secrétaire général adjoint de Eric Drummond à la SDN, jusqu’en 1923, puis  investment Banker  de Blair and C°, Monnet travaille à affermir les nouveaux Etats créés par le traité de Versailles et autres en les aidant à résoudre leurs problèmes de stabilisation monétaire et financière. Cette action contribue à renforcer les gouvernements légitimes et à stabiliser les jeunes démocraties. A propos du redressement de l’Autriche, Monnet écrit : « L’inflation, le chômage enfermaient le pays dans la misère et la détresse. En 1921 pour conjurer le risque d’une effondrement, la SDN fut chargée de trouver une solution financière. C’était en réalité, une mission politique d’une importance considérable pour l’équilibre européen et l’avenir de notre organisation. » (Mémoires p. 108)

2- Un deuxième moment très important est son action contre les Etats totalitaires, en particulier l’Allemagne nazie.

2-1- En effet, attentif à la montée de périls, il répond très positivement à la demande de Daladier, président du Conseil de négocier avec les Etats-Unis des achats d’avions de combat américains, à partir de septembre 1938. Rencontrant plusieurs fois les plus hauts dirigeants américains, il réussit à obtenir la construction d’usines aéronautiques, financées par l’argent français au Etats-Unis afin de créer les lignes de production d’avions performants.  De plus les lois de neutralité n’avaient pas encore été levées. Monnet vivait à l’heure de Roosevelt qui, écrit-il, « portait en silence sa conviction intime que les périls qui montaient de l’autre côté de l’Atlantique menaçaient directement la démocratie à travers le monde entier et que son pays devait être prêt dans toutes les circonstances » (Mémoires p. 147). Malheureusement ces avions n’arriveront pas en nombre suffisant pour renverser le cours des événements sur le front occidental. Il va continuer ce type de service en agissant aussi pour le compte de la Commission d’achats franco-britannique. Ces avions commandés entre septembre 1939 et mai 1940 seront rétrocédés aux Britanniques après l’armistice franco-allemand.

2-2-Pour défendre les Démocraties occidentales, Monnet, aux pires heures de la guerre, le 16 juin 1940, fait une offre d’Union franco-britannique reprise par Churchill, Prime minister, Paul Reynaud, président du Conseil et de Gaulle, sous-secrétaire d’Etat à la guerre. Il prône, outre l’union institutionnelle des deux pays, la création d’une industrie de l’Ouest, pour la défense des deux démocraties européennes qui serait installée, à l’abri des bombes allemandes, aux Etats-Unis.

2-3- Monnet ne suit pas le général de Gaulle dans sa lutte solitaire pour reconquérir l’indépendance de la France. Il s’en expliquera avec de Gaulle fin juin 1940 ; aucun des deux n’arrivera à convaincre l’autre. L’ambigüité de leur relation s’explique peut-être par cet épisode.  Monnet croit meilleur de s’engager pleinement aux côté des Britanniques afin de faciliter la victoire alliée. Il met à leur service sa connaissance des milieux industriels et financiers américains. Il organise le ravitaillement de la Grande-Bretagne. Son apport à la cause de la démocratie est certainement aussi sa participation à l’élaboration de la mobilisation industrielle des Etats-Unis. Monnet évidemment n’est pas le responsable de cette mobilisation, mais il aurait inventé avec les milieux politiques et industriels américains, ou il aurait exprimé clairement, comme il le fait dans les Mémoires, l’idée du Victory Programme qui a conduit les Etats-Unis au plus grand effort industriel et économique de guerre jamais consenti.

2-4- Quittant les Etats-Unis, à l’initiative de Roosevelt pour l’Afrique du Nord française, Alger, siège du Comité français de libération nationale, en février 1943, il doit constater que l’homme que les Américains voulaient placer à la tête de la France combattante, le général Giraud, n’était pas capable de rétablir la démocratie dans les territoires français libérés. Les lois racistes de Vichy, par exemple, continuaient d’être appliquées, suscitant la colère d’Eisenhower. Monnet, passant sur les réserves de Roosevelt qui avec d’autres hommes politiques américains trouvaient que de Gaulle pouvait être dangereux pour la démocratie, il se rendit compte que le général de Gaulle était soutenu par toute la résistance. Il facilita donc la prise du pouvoir par de Gaulle au sein du CFLN. De gaulle devint le chef incontesté de la France combattante en octobre 1943.

3- Un troisième moment est à prendre en considération, le plan de modernisation et d’équipement de 1946. En effet, si Monnet ne participe pas très activement à l’élaboration des projets de Constitution du nouveau régime, en revanche, il coordonne la conception et la mise en œuvre du plan de Modernisation et d’Equipement français. Ce plan est en rapport avec la démocratie dans la mesure où, comme en 1923, il a conduit le pays à son développement et à la création de richesses. Or on sait combien le bien-être des populations est indispensable pour un bon fonctionnement de la démocratie. Il n’est pas de démocratie sans prospérité. Politiquement non engagé, Monnet a toutefois toujours soutenu les efforts de réformes institutionnelles des gouvernements de la IVe République puis de la Ve république estimant que des institutions stables étaient la condition, avec la prospérité, d’une bonne démocratie.

4-La défense du monde libre, du monde de la démocratie face au totalitarisme communiste, a pris chez Monnet le tour que l’on connaît : la création de formes d’unité européenne qui ont renforcé le camp occidental.

4.1- Monnet a organisé l’élaboration de la réponse des 16 pays du plan Marshall aux Américains, entre septembre 1947 et avril 1948. Il n’a pas pu, cependant, convaincre les Etats européens d’abandonner significativement une part de leur souveraineté pour construire un ensemble occidental fédéral, économiquement ou politiquement. L’OECE sera une organisation de coopération seulement.

4.2- La défense de la paix, condition de l’exercice de la souveraineté, est organisée par Monnet et Schuman, ministre français des Affaires étrangères, à travers le fameux plan Schuman, du 9 mai 1950. Ce plan qui invite les Etats à créer une Haute Autorité du charbon et de l’acier, dans l’égalité la plus stricte de droits et de devoirs, a constitué les premiers pas vers la réconciliation franco-allemande après deux siècles de guerres. Mais il a conforté aussi la démocratie dans l’Allemagne fédérale de Konrad Adenauer. Il a renforcé ceux qui, en Allemagne, après la capitulation, avaient fait confiance aux alliés occidentaux.  Démocratie en Allemagne et unité européenne semblent être les deux volets des nouvelles relations intereuropéennes.

4-3- Défendre la paix et la démocratie exige de faire l’unité européenne autour d’une défense commune, alors que la guerre de Corée semble annoncer d’autres orages en Europe et dans le monde. Monnet fait aussi une proposition d’armée européenne, puis de Communauté européenne de défense (CED) qui aurait été contrôlée par une Autorité politique européenne. S’il n’est pas directement à l’origine de cette APE, une idée de De Gasperi (article 38 du traité de CED), Monnet approuve le projet de ces institutions politiques européennes grâce auxquelles l’unité durera. L’unité européenne à la Monnet est consubstantiellement liée à la défense de la démocratie occidentale.

4.4- Défendre la paix devait provoquer un partenariat atlantique entre les deux côtés de l’Atlantique. Or sur ce point, Monnet a probablement rêvé d’un monde idéal sans réelle consistance. Quand Kennedy, le 4 juillet 1962 propose le partenariat atlantique, Monnet y voit le début d’une grande entente des peuples libres. Mais quand on envisagea sa mise en place concrète dans une Force multilatérale, force fut de se rendre compte que les Etats-Unis ne pratiqueront pas cette démocratie égalitaire que Monnet aurait souhaitée dans les relations atlantiques. Ils resteront à la tête de l’Alliance atlantique dans un partenariat inégal.

Ainsi, Jean Monnet, si peu lié aux milieux politiques ou à la représentation parlementaire, n’en a-t-il pas moins défendu la Démocratie en Europe et dans le monde atlantique. Stabiliser des pays neufs allait leur permettre de vivre pacifiquement. Réarmer au temps du danger nazi était directement une forme de défense de la démocratie occidentale. Monnet avait compris que Munich (septembre 1938) menaçait directement la stabilité démocratique de l’Europe. Ses actions durant la guerre prouvent qu’il a toujours agi pour faciliter le retour à la démocratie des pays touchés par la guerre en contribuant à leur reconstruction et à leur modernisation. Le père de l’Europe, en proposant des formes d’unité européennes supranationales, les a fait naître démocratiquement, dans le respect de l’égalité entre Etats. La paix suppose la démocratie, l’unité européenne aussi. Monnet n’utilise pas très souvent le mot de démocratie, il préfère celui d’unité, de paix entre les peuples, d’interdépendance, de solidarité. Or ces termes présupposent que la Démocratie est la règle de fonctionnement des Etats qui tentent de faire la paix et de créer une solidarité. Monnet a souvent dit que pour unir les hommes, il fallait se donner des règles communes que les Etats comme les individus devraient respecter. Ces règles communes, partagées entre Européens ne pouvaient être autre chose que des règles de démocratie internationale.

Bibliographie

MONNET Jean, Mémoires, Fayard, 1976 .

MONNET Jean, Memoirs, Collins, 1978,  544 pages, 

ROUSSEL Éric, Jean Monnet, Fayard, 1996.

BOSSUAT Gérard et WILKENS Andréas, (sous la direction de)  Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la paix, Publications de la Sorbonne, 540 p. index, bibliographie, actes du colloque de mai 1997, Paris.

DUCHÊNE François, Jean Monnet, the first international Statesman of Interdependance, Norton Company, London- New-York, 1994.

BOSSUAT Gérard, Les fondateurs de l'Europe unie, Belin, Paris, Belin-sup histoire, réédition, 2001, 320 pp

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